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Le bar à poèmes

24 avril 2024

Khayr al-Din al-Asadi (1900- 1971) / خير الدين الأسدي : Sourate de la distillation

 

Sourate de la distillation

(extrait)

 

Mon bien-aimé au visage brun, à la bouche souriante, aux yeux ivres, au front

étoilé et à l’allure gracieuse

 

mon bien-aimé au désir fougueux est l’œillet des joies,

l’apogée de la jeunesse, l’ivre à longueur de temps,

 

ses cheveux sont doux, autour de ses lèvres humides – comme une colonie de

fourmis aux abords d’une source

 

le temps a essayé de représenter la beauté et il a créé des fleurs

variées dans le vaste paradis puis intimidé devant Lui

il les a vite cachées dans les bourgeons

 

les langues des bougies ont rivalisé avec les lumières de la pureté

dans la bouche du bien-aimé, alors sa peine fut la brûlure

 

les lumières de la pureté, ô vœu de l’œil ! En elles je hume

la quintessence de la vie

 

 

Traduit de l’arabe par Saleh Diab

in, « Poésie syrienne contemporaine. Edition bilingue »

Le Castor Astral, éditeur, 2018

Du même auteur : Sourate d’Iyäz (24/04/2023)

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23 avril 2024

Rabindranath Tagore / রবীন্দ্রনাথ ঠাকুর (1861 – 1941) : Virtuelle

RRabindranath Tagore  vers 1935 ©Getty - Fox Photos/Hulton Archivechive

 

Virtuelle

Satyarûpa

 

Dans le noir vint quelqu’un je ne sais d’où – je crus que c’était toi,

et la tonnelle de nuit fit éclore mille fleurs au clair d’étoiles.

Il n’en est autre preuve sinon un paraphe que je lirai

quand l’heure dormant coulera au fond de l’aube.

En attendant puisse mon cœur entré en silence

garder souvenance de toi qui l’emplis.

 

Il y a foule sur les chemins de la vie, la poussière vole ;

des fanions flottent aux avenues, le ciel remue.

Chaque heure tant de gens se pressent vers le bac –

d’autres exténués viennent à ma porte au soir

demander gîte pour la nuit, raconter

les histoires des pays lointains

puis en fin de nuit repartent loin.

 

Des cercles magiques se dessinent

au gré des allées et venues

dans le monde mouvant,

comme lame d’ombre volant au vent

en flux et en reflux.

L’un deux appelle à haute voix,

un autre rentre muet

connaissances de chaque jour

cependant ils demeurent

jour après jour sans identité.

Parmi ce brouillard perdus

se passent leurs jours abîmés

dans un noir onirique.

 

Le silence du crépuscule soudain frémit,

tu t’approches sans mot dire

je ne sais quand

et tu brises mon incertitude.

 

 

Traduit du bengali par Saraju Gita Banerjee

In, Rabindranath tagore : « L’écrin vert »

Editions Gallimard, 2008

Du même auteur :

« Le même fleuve de vie… » (24/11/2014) 

« Malgré le soir qui s’avance … » (23/04/2017)

« Frère, nul n’est éternel … » (23/04/2018)

« Poète, le soir approche ... » (23/04/2019)

Cygne (I – VI) (23/04/2020)

Cygne (VII – XII) (06/10/2020)

Cygne (XIII - XXVI) (23/04/2021)

Cygne (XXVII – XXXVII) (06/10/2021)

Cygne (XXXVIII – XLV) (23/04/2022)

« Mes chants... » (23/04/2023)

22 avril 2024

André Velter (1945 -) : En vue soudain

 

En vue soudain

 

Toi qui n'as pas régné sur Bactres

ni le cœur de Roxane,

toi qui n'as pas vu miroiter les enfers

au-delà de l'Amou Daria,

toi qui n'es pas mort d'une piqûre de rose

à l'ombre des jardins de Babylone,

tu ne crains pas d'essuyer sur ton front

une poussière d'épopée

avec dans le sang le désir féroce

de trouer la peau de chagrin de ce monde.

 

Vois comme tes paroles,

débordantes parfois ironiques toujours,

n'entendent pas désespérer Nichapour

ni les rêves levés au Cabaret de l'éphémère,

elles gardent en elles cette ivresse éternelle,

ce grand remuement d'âmes

dans la danse des atomes et des âges

qui ne promet rien ou peut-être rien

que la migration à nouveau jusqu'à toi

d'un seul et même corps de lumière.

 

Pour qui a voyagé

couvert du manteau bleu des fées,

pour qui a compté les étoiles

aux ciels de bouches trop joyeuses,

pour qui a reconnu le soleil et l'été

jusqu'en la cendre enclose,

il n'est de passage qu'aux horizons perdus

aux cimes hors d'atteinte

où le souffle s'exténue et renaît

en vue soudain de quoi...

 

- Allons, est-ce encore

l'absolu ?

- En as-tu encore

la force ?

 

In, Jean Orizet : « La poésie française contemporaine »

Le cherche midi éditeur, 2004

Du même auteur :

Sur un thème de Walt Whitman (18/12/2014)

Ein grab in der luft (15/10/2017)

Planisphères (15/10/2018)

Ce n’est pas pour ce monde-ci (15/10/2019)

Farine d’orge et feuilles de laurier (15/10/2020)

Vieux chaman (02/04/2021)

çà cavale (I) (14/10/2021)

çà cavale (II) (03/04/2022)

çà cavale (III) (15/10/2022)

« Caravane des caravanes... »  (03/04/2023)

21 avril 2024

Paul Dirmeikis (1954 -) : Etat des lieux modifié (Fugue 1)

 

Etat des lieux modifié

Fugue n°1

 

TOUJOURS S’EN VA toujours cette chose à l’angle

          toujours s’engame le seulet à ces tresses de nuages,

 

des schistes où la mousse sait tant manger du souvenir,

au-dessus de ses aires de fortune, entre les guerres

 

s’en va toujours ce rouge-gorge veillant les premiers enfants

 & les ombres, on laissera flânocher la barque au fil de l’eau,

 

à la lisière des premiers noms, toujours s’en va

dérivant loin des tanières & des songes nonchalants,

 

à chaque souffle le souffle d’une mère, rassemblant

on priera encore & encore & encore jusqu’à cette invariable

 

sa maisonnée dès la tombée du jour & son linge

tristesse des chevaux & toujours s’engame ce même

 

enfin sec, & ses désirs de mère plus impatients

solitaire à un autre cœur de décembre & on s’approchera

 

qu’un rouge -gorge & plus nécessiteux que ceux-là

sans bruit, ainsi qu’un ruisseau s’immisçant au milieu

 

parmi les plus pauvres & pourtant princiers, toujours

des bêtes assoupies & d’un coup, tel un coq en colère,

 

chaque jour & plusieurs, & s’en va le mouchoir sali

se dresserait le rauque éclair de la lampe, & toujours

 

de l’adieu, & l’ami, serré dans les bras de la pluie s’en va

engamant la nuit & ses buissons & sa grêle rosée de nuit,

 

avant la fin du sourire, à l’angle des maisons mangées de mousses

le seulet, le solitaire, celui qui dort à part, front contre

 

à cause de l’oubli & du soleil croupissant, & toujours

le gel & les traces fugaces des bêtes qui s’enfuient,

 

se souvenant & toujours s’arrachant des dents

celui-là même qui tutoie l’obscur & la pluie crépitant

 

ce rogaton de peau au long d’un ongle & cette brûlure

sur l’ardoise, oui, celui-là n’est-ce pas, qui décline

 

qui perdurera & l’envol du rouge-gorge & la vie

un peu plus chaque jour & s’agenouille & prie & prie

 

qui toujours brûlera & çà, qui est caché sous l’oreiller

& prie encore & encore, malgré la richesse des ruches

 

avec les dents de lait & les mains sèches & la terre

malgré l’intelligence des gens, celui-là purgeant sa mélancolie,

 

collée aux ongles & la porte entrebâillée, pour savoir

& laissant blanchir son front & s’émonder les jours passés,

 

ce qui se dit au dessert, avec ces lacis de versets

qui donc le préviendra de tant de pièges, & d’un chardon

 

& ces points de suspension & la vie des morts

lui griffera les yeux, qui donc lui révèlera ce reliquat

 

toujours là, s’immisçant sous la mousse des noms

au fond des poches, ah, que de sommeil voudrait-on

 

& toujours le fébrile rouge-gorge du corps, de là à là

encore pout transhumer ses rêves à l’autre bout du jardin

 

toujours, & l’harmonie des nuits à l’angle, là où quelque bête

& sereinement pisser sur le muret des regrets & ses longues

 

domestique se sera lovée sur sa quiétude fébrile de bête,

orties & vider sa mémoire au petit matin, à cette heure

 

on a faim toujours des choses proches & sûres, tel un travail

où l’amour est à flâner & les paupières à peine dessillées,

 

long à achever, tel un lacet à resserrer, toujours

& alors, à cette douleur toujours de la mort & à sa beauté

 

on se souviendra du comment, toujours on aura

toujours ignorée on fera place & aux ronces ligneuses

 

ce rouge-gorge entre les dents, on ne mordra pas, non,

de la mort on fera place & au long ruisseau

 

on gardera juste le goût de cette mort sûre & proche

de la mort on fera place & à l’eau si longtemps gelée

 

on rassemblera les syllabes éparpillées pour en serrer

de la mort on fera place & toujours & toujours & toujours

 

un bouquet sur le guéridon, près des médicaments,

& toujours s’engamera le seulet à ces tresses de nuages,

 

& le limon de l’obscurité, avec sa posologie à suivre

& on laisse flânocher la barque au fil de l’eau

 

 

Toujours

Mordre au travers, 22190 Plérin, 2021

Du même auteur :

Laudes du bois (20/04/2019)

L’Epaule d’Orphée (21/04/2020)

Laudes du feu (21/04/2021)

L’anneau des frontières (I-XI) (21/04/2022)

L’anneau des frontières (XII - XVIII) (21/04/2023)

 

 

20 avril 2024

Ryōkan Taigu / 大愚 良寛 (1758 – 1831) : « je suis venu ici avec mon bol... »

 

“Ryōkan” par Yasuda Yukihiko (1884-1978)

 

je suis venu ici avec mon bol

l’automne est frais, c’est le huitième mois

dans le jardin dépouillé les piquants des châtaignes ressortent

sous le ciel haut le chant des cigales a cessé

ma nature ignore la passion

debout, assis, ma pensée est vaste

les huit rouleaux du soûtra du Lotus,

à la tête de mon lit ; certains roulés, d’autres déroulés.

 

 

Traduit du japonais par Cheng Wing fun et Hervé Collet

in, Ryokan : « Le moine fou est de retour »

Moundarren éditeur, 78940 Millemont

Du même auteur :

« Le voleur parti... » (27/08/2019)

Le ciel est bleu et froid... » (20/04/2022)

Quitter sa famille signifie devenir moine (20/04/2023)

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19 avril 2024

Jude Stéfan (1930 - 2020) : Libera

 

Libera

 

laissez le libertin creuser sa tombe

de sa pelle de plaisir fouillant parmi

fleurs agapes et les mille belles

laissez-le rire de vos pleurs il a

séché les siennes et sa fin n’est pas

là-bas trou d’ombre mais ce vin ces fards

ces effluves même sa tombe c’est

son évidence de rires et dents jeunes

en lui sa mort comble son âme vide

squelette mettant à l’oeuvre la chair

 

 

Aux chiens du soir

Editions Gallimard, 1979

Du même auteur :

 « les Vieux… » (19/04/2015)

(Messe blanche.) (19/04/2016)

(Memento mori.)  (19/04/2017)

(Ni vie ni mort) (19/04/2018)

Dans les matinées (19/04/2019)

A une lectrice d’arbres (19/04/2020)

Aux îles Fortunées / Antwerpen / Coïmbra (19/04/2021)

La main d’Emma (19/04/2022)

« Si l’anxiété de finir... » (19/04/2023)

18 avril 2024

Cesare Pavese (1908 – 1950) : Marc en septembre / Grappa a settembre

 

Marc en septembre

 

Les matins passent clairs et déserts

sur les rives du fleuve qui à l’aube s’embrume

et se charge d’un vert sombre, dans l’attente du soleil.

Le tabac que l’on vend dans la dernière maison

encore tout humide, en lisière des prés, est presque noir

et d’un goût savoureux : sa fumée est bleuâtre.

Ils ont aussi du marc qui a la couleur de l’eau.

 

Le moment est venu où tout s’immobilise

et mûrit. Les arbres, au loin, restent calmes :

ils paraissent plus sombres, et ils cachent des fruits

qui à la moindre secousse tomberaient. Les nuages épars

ont une pulpe mûre. Au loin, sur les boulevards,

chaque maison mûrit sous la tiédeur du ciel.

 

A cette heure, on ne voit que des femmes. Les femmes ne fument pas

ni ne boivent, elles savent simplement s’arrêter au soleil

et recevoir sur elles sa tiédeur, comme des fruits.

Froid de brume, l’air se boit par gorgées

comme du marc, chaque chose y exhale une saveur.

L’eau du fleuve elle aussi a bu ses rivages

et les macère au fond, dans le ciel. Les rues

sont pareilles aux femmes, elles mûrissent immobiles.

 

Il faudrait que chacun, à cette heure, s’arrête

dans la rue et regarde comment tout mûrit.

Il y a même une brise, qui n’ébranle pas les nuages,

mais suffit à diriger la fumée

bleuâtre, sans la rompre : saveur nouvelle qui passe.

Et le tabac doit être trempé dans du marc. Les femmes alors

ne seront plus les seules à jouir du matin.

 

 

Traduit de l’italien par Gilles de Van

In, Cesare Pavese : « Travailler fatigue. La mort viendra

et elle aura tes yeux ».

Editions Gallimard, 1969

Du même auteur :

Paysage (18/04/2016)

La terre et la mort (18/04/2017)

 La mort viendra et elle aura tes yeux / Verrà la morte e avrà i tuoi occhi (18/04/2018)

Paysage VIII / Paesaggio VIII (18/04/2019)

Femmes passionnées / Donne appassionate (18/04/2020)

Eté – Eté 1 / Estate – Estate I (18/04/2021)

L’Etoile du matin / Lo steddazzu (05/10/2021)

Dépaysement / Gente Spaesata (18/04/2022)

Manie de solitude / Mania di solitudine (05/10/2022)

Le paradis sur les toits / Il paradiso sui tetti (18/04/2023)

 

Grappa a settembre

 

I mattini trascorrono chiari e deserti

sulle rive del fiume, che all’alba s’annebbia

e incupisce il suo verde, in attesa del sole.

Il tabacco, che vendono nell’ultima casa

ancor umida, all’orlo dei prati, ha un colore

quasi nero e un sapore sugoso: vapora azzurrino.

Tengon anche la grappa, colore dell’acqua.

 

È venuto un momento che tutto si ferma

e matura. Le piante lontano stan chete:

sono fatte più scure. Nascondono frutti

che a una scossa cadrebbero. Le nuvole sparse

hanno polpe mature. Lontano, sui corsi,

ogni casa matura al tepore del cielo.

 

Non si vede a quest’ora che donne. Le donne non fumano

e non bevono, sanno soltanto fermarsi nel sole

e riceverlo tiepido addosso, come fossero frutta.

L’aria, cruda di nebbia, si beve a sorsate

come grappa, ogni cosa vi esala un sapore.

Anche l’acqua del fiume ha bevuto le rive

e le macera al fondo, nel cielo. Le strade

sono come le donne, maturano ferme.

 

A quest’ora ciascuno dovrebbe fermarsi

per la strada e guardare come tutto maturi.

C’è persino una brezza, che non smuove le nubi,

ma che basta a dirigere il fumo azzurrino

senza romperlo: è un nuovo sapore che passa.

E il tabacco va intinto di grappa. È così che le donne

non saranno le sole a godere il mattino.

Poème précédent en italien :

Salvatore Quasimodo : Ô mes doux animaux / O miei dolci animali (15/04/2024)

17 avril 2024

Saphô / Σαπφώ (vers 630 – vers 580 av. J. C.) : Confidences

 

Saphô de James Pradier (1852). Musée d'Orsay

 

Confidences

 

Je dis que l’avenir se souviendra de nous.

.................................................

Je désire et je brûle.

............................................

A nouveau l’Amour, le briseur de membres,

Me tourmente, doux et amer.

Il est insaisissable, il rampe.

............................................

A nouveau l’Amour a mon cœur battu,

Pareil au vent qui, des hauteurs,

Sur les chênes s’est abattu.

....................................

Tu es venue, tu as bien fait :

J’avais envie de toi.

Dans mon cœur tu as allumé

Un feu qui flamboie.

................................

Je ne sais ce que je dois faire

Et je sens deux âmes en moi.

.............................................

Je ne sais quel désir me garde possédée

De mourir, et de voir les rives

Des lotus, dessous la rosée.

.....................................

Et moi, tu m’as oubliée.

 

 

Traduit du grec par Robert Brasillach,

In « Anthologie de la poésie grecque »

Editions Stock, 1950

De la même autrice :

 « Je t’ai possédée, ô fille de Kuprôs ! » (13/04/2015)

Aphrodite / εἰς Ἀφροδίτην (13/04/2016)

A une aimée (13/04/2017)

Je serai toujours vierge (13/04/2018)

Nocturnes (13/04/2019)

« ... Et je ne reverrai jamais... » (13/04/2020)

« ... Rien n’est plus beau... » (03/04/2021)

« Je ne change point... » (13/04/2022)

Ode à Aphrodite (17/04/2023)

16 avril 2024

Peter Huchel (1903 – 1981) : Monnaie de Bir-El-Abbas / Münze aus Bir El Abbas

 

Monnaie de Bir-El-Abbas

 

Ne polis pas la monnaie ébréchée.

Laisse-le dormir, le visage étranger,

Sous la couche verte du métal

Comme sous l’eau verte

Les trous envasés du dernier oasis.

 

La monnaie cliquète.

Tu entends le vacarme du désert,

La longue plainte des caravanes,

Tombées en poussière.

Affûtée par le vent,

La faucille du sable coupe

Le feu de camp,

La tente noire en poil de chèvre,

La narine et le sabot de l’ânesse.

 

Monnaie sans repos,

Portée de puits en puits,

De marché en marché

Sur les dos crevassés des chameaux secs,

Tombant du fichu sale de la vieille

Dans le cuir sale du marchand de galettes,

Cachée sous l’aisselle du voleur

Et à nouveau jetée par une main de brigand

Dans l’écuelle du lépreux,

Glissant sur le tapis mince

Pour qu’avant l’amour l’ulade danse,

Qui agite au-dessus du visage calcaire immobile

La petite lune de peau

Vibrant autour du son de la flûte.

 

Monnaie sans repos,

Offerte et perdue,

Foulée aux pieds, vérifiée entre les dents

Inscrite dans le livre des dettes, dans le sel des larmes,

Quand la meule grinçait sous la corvée,

Toi, témoin du trafic d’ambre et de perles

Qui ôtes le verdict de la bouche du juge :

Toi seule connais les chemins du monde.

Tu as roulé à travers la famine du peuple,

A travers le faste et l’agitation d’anciennes provinces,

A travers les luttes tribales et les rires de sang

Jusqu’à ce que la griffe du désert t’eût ensevelie.

 

Là où les dunes gagnent remparts et murailles,

Où la chaleur frappe à coups de pioche émoussée,

Tu gisais parmi les tessons pourpres d’une poterie,

Au silence seul prêtée à intérêt —

Exhumée par une bêche,

Ver isolé dans le sable éblouissant,

Mammon des morts,

Qui n’a su apaiser

La soif insatiable du monde.

 

Traduit de l’allemand par Emmanuel Moses

In, Peter Huchel : « La tristesse est inhabitable »

Editions de La Différence (Orphée), 1990

Du même auteur :

Exil (16/04/2015)

Ferme Thomasset (16/04/2016)

« Sous la houe brillante de la lune… » / Unter der blanken Hacke des Monds… » (16/0420/17)

Origine / Herkunft (16/04/2018)

Le tombeau d’Ulysse / Das Grab des Odysseus (16/04/2019)

Le moissonneur polonais / Der polnische schnitter (16/04/2020)

Znorovy (16/04/2021)

Île du sud / Südliche insel (16/04/2022)

Eté écossais / Schottischer Sommer (16/04/2023)

 

Münze aus Bir El Abbas

 

 

Reibe die schartige Münze nicht blank.

Laß es schlafen, das fremde Gesicht,

Unter der grünen Schicht des Metalls

Wir unter dem grünen Wasser

Verschlammter Löcher der letzen Oase.

 

Die Münze klirrt.

Du hörst Getöse der Ode,

Die lange Klage der Karawanen,

Zefallen zu Staub.

Von Wind gewetzt,

Zerschneidet die Sichel des Sandes

Das Lagerfeuer,

Das Schwarze Zelt aus Ziegenhaar,

Der Eselstute Nüster und Huf.

 

Ruhlose Münze,

Von Brunnen zu Brunnen getragen,

Auf schrundigem Rücken dürrer Kamele

Von Markt zu Markt,

Aus schmutzigem Kopftuch  der Greisin fallend

Ins schmutzige Leder des Fladenhändlers,

Verborgen unter der Achsel des Diebes

Und wieder geworfen aus Rauberhand

Dem Leprakranken in den Napf,

Geschoben auf den dünnen Teppich,

Daß vor der Liebe die Ulad noch tanze,

Die über dem starren, gehalkten Gesicht

Den kleinen Mond aus Tierhaut schwingt,

Der dröhnend umkreist den Flötenton.

 

Ruhlose Münze,

Verschenkt und verloren,

Von Fersen getreten, von Zähnen geprüft,

Geschrieben ins Schuldbuch, ins Salz der Tränen,

Wenn unter der From  der Mahlstein knirschte,

Du Zeuge des Schaschers um Amber und Perlen,

Dem Richter den Spruch vom Munde nehmend :

Du nur kennst die Wege der Welt.

Du rolltest durch den Hunger des Volks,

Durch Prunk und Aufruhr alter Provinzen,

Durch Stammesfehden und Lachen von Blut,

Bis dich dieTtatze der Wüste begrud.

 

Wo Öde  wuchert an Wall und Mauer,

Mit stumpfer Hacke die Hitze schlägt,

Lagst du im Purpurschutt aus Scherben,

Dem Schweigen nun auf Zins geliehen –

Vom Spaten gehoben,

Das einzige Grün im grellen Sand,

Der Mammon der Toten,

Der nicht zu stillen vermochte

Den nie verlöschenden Durst der Welt.

 

 

Chausseen, Chausseen,

Fischer Verlag, Frankfurt, 1963

 

Poème précédent en allemand :

Friedrich Hölderlin : Patmos (06/02/2024)

15 avril 2024

Salvatore Quasimodo (1901 – 1968) : Ô mes doux animaux / O miei dolci animali

 

Ô mes doux animaux

 

A présent l’automne gâte le vert des collines,

ô mes doux animaux. Nous entendrons encore,

avant la nuit, l’ultime plainte

des oiseaux, l’appel de la plaine

grise vers la rumeur

haute de la mer. Et l’odeur du bois

sous la pluie, l’odeur des tanières,

si vive parmi les maisons,

parmi les hommes, ô mes doux animaux.

Ce visage aux yeux lents qui se tourne,

cette main qui montre le ciel où

gronde le tonnerre, ce sont les vôtres, ô mes loups,

mes renards brûlés par le sang.

Chaque main, chaque visage sont vôtres.

Tu me dis que tout a été vain,

la vie, les jours corrodés par une eau

continuelle, tandis que monte des jardins

un chœur d’enfants. A présent déjà loin

de nous ? Mais ils se perdent dans l’air

comme ombres à peine. C’est son refrain.

Mais moi, je sais peut-être que tout n’est pas fini.

 

 

Traduit de l'italien par Roland Ladrière

in, Salvatore Quasimodo : "Oeuvres poétiques"

Editions de Corlevour, 92110 Clichy,2021

Du même auteur :

Et c’est bientôt le soir / Ed è subito sera (01/11/2014)

J'entends encore la mer / S’ode ancora il mare (15/04/2018)

Devant le gisant d’Ilaria del Carretto / Davanti al simulacro d’Ilaria Del Carretto (15/04/2019)

Anno Domini MCMXLVII (15/04/2020)

Vent à Tyndaris / Vento a Tindari (15/04/2021)

Temple de Zeus à Agrigente / Tempio di Zeus Ad Agrigento 15/04/2022)

La pie noire rit sur les orangers / Ride la gazza, nera sugli aranci. (06/10/2022)

Les retours / I Ritorni (15/04/2023)

Glendalough (06/10/2023) 

 

O miei dolci animali

 

Ora l'autunno guasta il verde ai colli,

o miei dolci animali. Ancora udremo,

prima di notte, l'ultimo lamento

degli uccelli, il richiamo della grigia

pianura che va incontro a quel rumore

alto di mare. E l'odore di legno

alla pioggia, l'odore delle tane,

com'è vivo qui fra le case,

fra gli uomini, o miei dolci animali.

Questo volto che gira gli occhi lenti,

questa mano che segna il cielo dove

romba un tuono, sono vostri, o miei lupi,

mie volpi bruciate dal sangue.

Ogni mano, ogni volto, sono vostri.

Tu mi dici che tutto è stato vano,

la vita, i giorni corrosi da un'acqua

assidua, mentre sale dai giardini

un canto di fanciulli. Ora lontani,

dunque, da noi? Ma cedono nell'aria

come ombre appena. Questa la tua voce.

Ma forse io so che tutto non é stato. 

 

Giorno dopo giorno

Mondadori Editore, Milano, 1947

Poème précédent en italien :

Eugenio Montale : Quatre poèmes / Quattro poesie (08/02/2024)

Poème suivant en italien :

Cesare Pavese : Marc en septembre / Grappa a settembre (18/04/2024)

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